MANDÉISME

MANDÉISME
MANDÉISME

Le mandéisme désigne la religion pratiquée par une secte dont les derniers survivants, quelques milliers, se trouvent actuellement près des rives du golfe Persique, dans la région de Bassora. Cette secte eut son heure de gloire au début du XXe siècle: de nombreux savants y virent un élément d’explication des origines chrétiennes, tandis que d’autres, refusant d’admettre son influence sur le christianisme, pensèrent à l’inverse qu’elle avait été fortement marquée par l’empreinte chrétienne. La fièvre suscitée par cette «question mandéenne» est retombée, mais le problème de ses rapports avec le christianisme est loin d’être résolu.

Textes et doctrines

La secte mandéenne a été révélée en 1652 par un missionnaire carme, qui décrivait ses membres sous le nom de «chrétiens de saint Jean». Au cours du XVIIe siècle, de nombreux voyageurs allèrent sur place recueillir des renseignements. Mais la véritable étude scientifique commença seulement au milieu du XIXe siècle, avec la parution d’éditions de textes, de traductions et d’une grammaire de la langue mandéenne. Le premier travail d’ensemble sur le sujet est celui de W. Brandt (1889), et la contribution la plus importante, celle de M. Lidzbarski, qui consacra sa vie aux études mandéennes et dont les publications sont à l’origine de tous les travaux récents. Parmi ces derniers, il faut citer particulièrement les recherches de E. S. Drower-Stevens, qui, en publiant certains textes nouveaux, s’est efforcée de donner de la secte une description aussi complète que possible.

D’après l’étymologie que les critiques attribuent à leur nom, les «mandéens» (mandaya ) seraient les hommes de la connaissance (manda ). Malgré l’explication de E. S. Drower-Stevens, pour qui ce nom viendrait de mandi , qui sert à désigner le sanctuaire des mandéens, il semble préférable de s’en tenir à l’ancienne interprétation, qui correspond à l’ensemble de la doctrine contenue dans les ouvrages mandéens. Les mandéens se désignent eux-mêmes d’un autre nom, celui de nasoraia (« nazaréens »), qui évoque la secte judéo-chrétienne des nazaréens aux premiers siècles du christianisme et qu’il faut traduire par «observants». Un troisième nom leur est attribué, celui de sabaya («baptistes»), qui souligne l’importance prise dans cette secte par les rites du baptême. C’est de cette appellation que les auteurs musulmans se servent de préférence.

On dispose actuellement de l’ensemble des écrits mandéens, qui constituent un dossier considérable et parmi lesquels il convient de mentionner trois grandes compilations. Le Ginzâ (Trésor ), appelé aussi Sidrâ Rabba (Grand Livre ), reste le document le plus important pour l’étude de la secte. Il se compose de deux groupes de textes d’inégale longueur. Le groupe le plus étendu, le Ginzâ de droite , contient une présentation chaotique, mais assez complète, des doctrines des mandéens sur les deux mondes, sur le premier homme, sur le Messager céleste. Le livre VII contient une collection de maximes attribuées à Jean-Baptiste; le livre V, au chapitre IV, raconte le baptême par ce dernier du Messager céleste dans le Jourdain. Le Ginzâ de gauche , beaucoup plus court, développe particulièrement les thèmes concernant la «montée de l’âme». La deuxième compilation porte différents noms: Sidrâ d’Yahyâ (Livre de Jean ) ou Drâshê d’Malkê (Discours des rois ). Elle comporte soixante-seize fragments, assemblés en désordre, qui traitent des mêmes thèmes que le Ginzâ de droite , mais renferment aussi plusieurs textes importants concernant Jean-Baptiste, Marie, mère de Jésus, et le Messager céleste, Manda d’Hayyé . La troisième compilation, le Qolastâ (Choix ), appelé aussi Sidrâ d’Nishmâtâ (Livre des âmes ), concerne la liturgie. Il s’agit de cent trois poèmes, groupés en quatre parties et se rapportant spécialement au rituel du baptême et à la liturgie des morts. Outre ces trois grands recueils, le corpus mandéen comprend une multitude de textes didactiques, liturgiques, magiques.

Toute cette littérature est rédigée dans un araméen proche de la langue du Talmud de Babylone, mais manifestant beaucoup d’attaches avec l’araméen occidental, ce qui pose le problème des origines de la secte.

Les croyances exprimées dans la littérature mandéenne peuvent se résumer tout d’abord en l’affirmation, fondamentale pour la doctrine, d’un dualisme qui oppose «le monde d’en haut» et «le monde d’en bas», ou mieux «le lieu de la lumière» et «le lieu des ténèbres». Mais ce dualisme n’est pas absolu, car Dieu intervient dans le monde par la création, qui est présentée selon une conception très proche de celle des textes bibliques. Cependant, l’intervention divine va beaucoup plus loin, puisque la création se poursuit dans une action permanente de Dieu au sein du monde et spécialement par la révélation qu’il communique aux hommes par l’intermédiaire de son envoyé, Manda d’Hayyé («Connaissance de vie»). La religion de lumière fondée par ce Messager céleste s’oppose à sept religions de ténèbres, parmi lesquelles le mazdéisme, le judaïsme, le christianisme, le manichéisme et l’islam, ce qui témoigne chez les mandéens d’une influence, ou du moins d’une connaissance, de ces religions. Jésus est considéré par eux comme un faux prophète. Le vrai prophète, parfois identifié à Manda d’Hayyé , est Jean-Baptiste, qui, persécuté dès sa naissance par les juifs, se retire au bord du Jourdain et regroupe autour de lui les vrais fidèles. Cet attachement à Jean-Baptiste, cette opposition au judaïsme et au christianisme posent évidemment un problème.

L’idéal moral des mandéens est assez élevé et comporte un souci de pureté qui doit permettre l’ascension de l’âme; il refuse le célibat, la circoncision et le sabbat. Les pratiques cultuelles comportent essentiellement le baptême, les repas sacrés et le rituel de la mort, qui est une sorte de baptême. E. S. Drowers-Stevens a longuement décrit ces différents rites en se servant à la fois des textes liturgiques et de l’usage actuel des membres de la secte.

Problème des origines et rapports avec le christianisme

Le véritable problème posé par le mandéisme est celui de ses origines. Est-il né en Mésopotamie ou en Palestine ? Bien que l’ensemble de ses écrits n’ait été constitué qu’après la naissance de l’islam, c’est-à-dire au VIIIe siècle, la secte apparaît comme beaucoup plus ancienne. Elle est attestée avec sûreté dès le IVe siècle et assez probablement aux environs de l’an 200. Cela semble prouvé par les textes, du moins par leurs parties les plus primitives et aussi par le fait que le manichéisme est né au sein d’une secte baptiste, qui est presque certainement le mandéisme.

Mais peut-on remonter plus haut dans le temps et, surtout, envisager que le mandéisme est né en Palestine plutôt qu’en Babylonie? Plusieurs faits semblent l’indiquer. Tout d’abord, l’écriture mandéenne est très proche du nabatéen, c’est-à-dire de l’écriture des nomades de la vallée du Jourdain. D’autre part, le vocabulaire contient un grand nombre de mots araméens d’origine «occidentale», c’est-à-dire palestinienne. Surtout, les doctrines de la secte comportent un grand nombre d’éléments qui semblent inséparables de l’histoire du peuple juif et du sol palestinien. C’est le cas, en particulier, pour l’importance donnée au Jourdain, considéré comme le fleuve du salut, et à la ville de Jérusalem, envisagée comme le centre de la révélation et du combat entre la lumière et les ténèbres. Si l’on ajoute à cela le fait que les mandéens se donnent le nom de «nazaréens», on peut conclure qu’on se trouve dans une ambiance juive et palestinienne.

Faut-il aller jusqu’à admettre que les mandéens sont les disciples attardés, mais fidèles de Jean-Baptiste? Le problème est difficile, parce que les textes qui mettent le plus en relief la personne de Jean-Baptiste semblent compter parmi les plus récents. Aussi plusieurs auteurs pensent-ils que les mandéens ne se sont couverts de l’autorité du Baptiste qu’à l’époque où ils ont dû constituer un corpus spécifique afin d’apparaître aux yeux des musulmans comme des hommes du Livre. Cette interprétation est possible, mais on imagine difficilement qu’ils aient réalisé cette opération sans que rien dans leur doctrine antérieure n’ait pu servir de base à de tels développements. Il est indiscutable que, dès l’origine, le mandéisme ait été étroitement lié à la personne de Jean-Baptiste.

Peut-on aller plus loin encore et considérer que le mandéisme a eu quelque influence sur les origines chrétiennes? Deux tendances se sont fait jour à se sujet. Les uns, en particulier Rudolf Bultmann, ont souligné les parallèles entre les textes mandéens et les Évangiles, spécialement celui de saint Jean. D’autres, au contraire, ont soutenu que c’était plutôt le christianisme syriaque qui avait influé sur la secte mandéenne, notamment pour le rituel du baptême. Il faut convenir que le mandéisme, pas plus qu’aucune autre forme religieuse, ne pouvait rester indemne de toute contamination. Mais il serait étrange qu’un mouvement si violemment opposé au christianisme ait pu lui emprunter des doctrines fondamentales ou des rites essentiels. C’est plutôt le christianisme qui a pu être influencé par le mandéisme, non pas sous la forme que celui-ci a prise à partir du VIIIe siècle, au moment de la compilation de ses textes sacrés, mais sous la forme que le mandéisme pouvait avoir à ses origines, au moment où il constituait l’une des nombreuses sectes baptistes qui florissaient sur les bords du Jourdain. Le christianisme lui-même était une de ces sectes et ses liens profonds avec la secte de Jean-Baptiste l’ont conduit à incorporer ce personnage dans son système doctrinal au titre de «précurseur» de celui qui l’avait supplanté.

Cette hypothèse a l’avantage de rendre compte de beaucoup d’éléments du dossier que la négation de tout contact originel entre christianisme et mandéisme amène à passer sous silence ou à expliquer de façon non satisfaisante. Dans l’atmosphère de sérénité qui règne actuellement parmi les spécialistes des études mandéennes, une telle explication devrait recueillir un large assentiment.

mandéisme nom masculin Secte dualiste des premiers siècles de notre ère (IIe s. ?), d'inspiration gnostique, qui compte encore quelques milliers d'adeptes dans le sud de l'Iraq.

mandéisme ou mendéisme [mɑ̃deism] n. m.
ÉTYM. XXe; de mandéen, mendéen.
Didact. (hist. relig.). Secte gnostique et communauté religieuse baptiste des Mendéens. || Le mandéisme existe encore en basse Mésopotamie.
0 Le mandéisme est une gnose extraordinairement complexe, où se retrouvent des éléments babyloniens, iraniens, juifs et manichéens. Tel que nous le connaissons, il est l'aboutissement (vers le Ve siècle après J.-C.) d'une longue évolution : les Mandéens se réclament de Jean le Baptiste, et leur origine première semble être légèrement antérieure au christianisme (…)
Serge Hutin, les Gnostiques, p. 92.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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